Négotiations Sociales

Mal nécessaire douloureux ou consolidation de votre avenir?

La grave crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui a son lot de conséquences économiques, avec de nombreuses négociations entre partenaires sociaux à la clé. Direction et représentants des travailleurs essaient toujours dans ce cas d’en retirer le maximum pour leurs « clients », en l’occurrence les actionnaires et les travailleurs.

Délicat depuis des décennies, ce processus est considéré comme douloureux par les deux camps, un « mal nécessaire ». Contrairement à ceux qui s’accrochent obstinément à l’ancienne rhétorique du « eux contre nous », les entreprises et représentants des travailleurs faisant preuve de davantage d’intelligence peuvent toutefois en retirer bien plus. En 20 années passées à négocier, j’ai vu des organisations qui en sortaient plus fortes et d’autres qui ne faisaient que résoudre un problème immédiat et finissaient tôt ou tard par se retrouver au point de départ.

Oublier les voies de conflit traditionnelles
Il existe un meilleur moyen d’aborder les négociations pour ainsi laisser des décennies de relations conflictuelles derrière nous. De plus en plus de participants à ces négociations ont ainsi suffisamment de courage pour dire non aux anciennes voies de conflit qui consistent à faire pression, se fâcher et finalement aboutir à un accord parce qu’il n’y a pas d’autre choix. C’est ce que j’appelle un scénario lose-lose. Dans pareil cas de figure, les représentants des travailleurs estiment ne jamais être impliqués correctement tandis que la direction voit le processus comme quelque chose de pénible et de difficile qui ne fait que retarder des changements qu’elle considère pourtant comme indispensables.

Beaucoup de changements organisationnels et de restructurations étant aujourd’hui sur la table, il n’est certainement pas inutile de s’attarder sur ces négociations. Pour espérer les mener à bien, les sociétés comme les représentants des travailleurs doivent être capables de prendre de la hauteur. Ils ne peuvent pas simplement se concentrer sur le problème évoqué et doivent essayer de comprendre pourquoi ils sont là où ils sont et ce qu’il convient de faire pour construire un avenir à long terme pour leurs clients, actionnaires et travailleurs. Ils doivent savoir comment conclure un nouveau contrat social après les négociations et regarder le travail qu’il reste à accomplir comme un investissement dans l’avenir, même en cas de licenciements ou de grosse restructuration. Ils doivent être conscients qu’il ne s’agit pas uniquement d’un processus administratif mais bien de jeter les bases de leur avenir.

Pas nécessairement besoin d’être d’accord sur tout
Des négociations efficaces supposent des parties qui s’impliquent mutuellement, qui récoltent les points de vue de toutes les personnes présentes autour de la table, qui ont conscience que les parties impliquées ne doivent pas nécessairement être d’accord sur tout et qui doivent juste veiller à avancer ensemble pour le bien de toutes les parties impliquées. Les clés du succès passent par la mise de côté des ego et la concentration sur l’essentiel. Les parties doivent s’informer correctement et faire part ouvertement de leurs problèmes. Elles doivent aussi éviter de mettre l’autre camp dos au mur et de sortir des lapins de leur chapeau.

Toute surprise dans le cadre de telles négociations est vivement déconseillée. Les parties doivent garder leur sang-froid et comprendre que sortir ensemble de ce processus, et non laisser l’autre partie derrière, est la seule voie vers le long terme. Si une partie a tout et l’autre rien, il ne faudra pas longtemps avant de devoir se rasseoir à la table des négociations.

Les représentants des travailleurs sont généralement de grands adeptes du statu quo, ce qui n’est de toute évidence pas très réaliste par rapport aux dommages économiques que subissent aujourd’hui bon nombre d’organisations. De leur côté, les dirigeants viennent souvent avec des plans sur lesquels ils ont travaillé pendant des mois et n’ont pas conscience qu’il est impossible pour les représentants des travailleurs de tout comprendre et d’être d’accord avec eux lors de certaines réunions.

Il faut toujours être deux pour danser le tango.
Essayer de comprendre la position et le cadre de référence des uns et des autres est essentiel. Il n’y a pas de place à la table des négociations pour des personnes dogmatiques, incapables d’écouter et de prendre du recul par rapport à la situation.

Il faut toujours être deux pour danser le tango. Le profil du parfait négociateur social est celui d’un être humain capable d’écouter, de partager, de respecter les différences d’opinion et de chercher une solution dans laquelle toutes les parties peuvent se retrouver. Il doit aussi s’agir d’une personne dotée d’un certain sens de l’urgence dans la mesure où les sujets sur la table nécessitent le plus souvent des mesures rapides. Cette description est du reste valable pour les représentants des travailleurs comme pour la direction autour de la table.

Au moment de préparer de telles négociations, pensez à ce que vous feriez si vous étiez à la place de l’autre partie. Cela vous aidera à être bien préparé. Et même si la situation s’envenime, gardez toujours votre calme, restez concentré et ne fermez jamais la porte. Cela vous aidera à prendre des décisions et à trouver des accords plus rapidement. Il ne peut en aucun cas être question de faire pression au maximum sur l’autre partie en impliquant par exemple la presse, ou de suspendre les services aux clients de la société comme le font souvent les syndicats.Il ne peut pas non plus être question de forcer des actions prédéfinies et d’expliquer qu’il n’y a pas d’autre solution.

To People or not to People

En jetant un regard rétrospectif sur deux décennies de ressources humaines et de vie des entreprises belges, au niveau mondial et local, je me rends compte qu’il existe un besoin impérieux de trouver un nouveau verbe pour décrire la manière la plus efficace d’interagir les uns avec les autres, de faire équipe, d’avancer ensemble, de négocier avec les autres et d’obtenir un résultat constructif. Ce verbe pourrait apporter beaucoup pour nous aider à comprendre ce qui ne va pas au cas où notre discussion, notre effort collectif, notre négociation, l’énergie dépensée pour essayer d’arriver quelque part ne nous mènerait pas au résultat souhaité. Il permettrait également de développer des individus, des équipes et des organisations plus performants.

Étant extrêmement motivé par l’obtention de résultats réalisés par et pour les collaborateurs, il était temps d’inventer un verbe approprié pour illustrer ce qu’on attends de nous. Ce verbe sonne bien en anglais : ‘to people’. On pourrait le traduire par ‘se préoccuper des gens’. Désormais, si vous ressentez que « cela ne marche pas », que « nous n’allons pas dans la bonne direction », demandez-vous, demandez à votre équipe : « Est-ce que je suis, est-ce que nous sommes capables de bien nous préoccuper des gens» ?

Aptitude, compétence, talent naturel, capacité d’organisation.

Se préoccuper des gens c’est l’art d’avancer ensemble sans nécessairement être d’accord sur tout. Il s’agit en l’occurrence de créer un objectif commun et d’avoir le courage de reconnaître que nous sommes interdépendants. Et de continuer à aller de l’avant en évitant l’immobilisme ou le retour en arrière. Il s’agit aussi de comprendre le cadre de référence de la personne qui est assis de l’autre côté et de ne pas avoir peur d’avancer dans ce cadre.

Le monde d’aujourd’hui est plus diviseur qu’unificateur.

Dans notre monde actuel il y a un besoin énorme de se ‘préoccuper des gens’. Je pourrais donner de multiples exemples à l’échelle mondiale, régionale et locale, au niveau des organisations, des départements et des équipes, où les personnes concernées ne sont pas en mesure d’avancer, de faire bouger les choses ou de progresser. Comme mon expertise se situe essentiellement dans un cadre ‘business’, je me concentrerai sur des exemples provenant d’entreprises, bien que ce phénomène soit visible dans toutes les strates de la société civile.

Stratégie et mise en œuvre

L’exemple classique que j’ai souvent rencontré au cours de ma carrière dans les ressources humaines est celui du RH professionnel brillant qui élabore de grands plans stratégiques soutenus par des présentations PowerPoint impressionnantes qui en réalité ne sont jamais utilisées par les personnes responsables de l’opérationnel. Cela n’est pas exclusif aux ressources humaines, et on retrouve souvent le même phénomène dans d’autres fonctions telles que la communication et le marketing. Sans parler de l’ingénierie, qui développe de grands produits que les vendeurs ne veulent ou ne peuvent pas vendre ou que la production n’est pas capable de produire au bon coût.

Parfois, un individu, une équipe ou même une fonction entière d’une organisation oublient dans la pratique leur raison d’être. Au lieu de répondre à un besoin spécifique de l’entreprise par une approche concrète, on voit se développer des rhétoriques intellectuelles ou des plans vertigineux, des pensées, des idées et des actions qui ne sont jamais appliquées parce qu’elles ne correspondent pas à la ‘préoccupation des gens’ dans l’entreprise.

Direction et partenaires sociaux

Un autre exemple fréquemment observé est la manière improductive dont la direction et les partenaires sociaux interagissent entre eux. Les chefs d’entreprise et les représentants des syndicats ou des conseils d’entreprise partent de la position selon laquelle l’autre se trompe ou n’est pas ne comprend pas. Il est clair qu’un tel état d’esprit n’est jamais un bon point de départ et va générer un gaspillage d’énergie, de ressources et entraîner beaucoup de frustrations des deux côtés.

Si les parties à la table des négociations ne se préoccupent que de leur propre agenda rien ne bougera et les tranchées qui se creusent seront profondes. Pour en sortir, on fait alors appel à des solutions à court terme pour débloquer la crise immédiate, mais les problèmes sou jacents continueront d’’exister à long terme

Ces deux exemples illustrent le fait qu’il que des rhétoriques intellectuelles sont coûteuses, dysfonctionnelles et épuisent les ressources des entreprises. Et cela parce qu’on ne se préoccupe pas suffisamment des gens et qu’on a oublié à quel point il est important d’avancer ensemble en respectant les opinions et les styles en présence.

L’art d’avancer ensemble sans nécessairement se mettre d’accord sur tout 

Les critères de réussite pour rencontrer les préoccupation des gens peuvent être décrits comme suit:

1) Avoir une forte envie de faire bouger les choses.

2) Avoir le courage de mettre les arguments sur la table en évitant tout a priori.

3) Éviter d’être dogmatique et exclusif.

4) S’efforcer de comprendre le cadre de référence de l’autre partie.

5) Se concentrer sur l’opportunité et non sur ce qui peut mal tourner ou ce qui est dangereux.    

6) Avoir la ferme conviction que l’information n’est pas le pouvoir. C’est ce que vous faites avec l’information qui est essentiel   

7) Ne pas penser que vous devez être d’accord sur tout ce qui est dit, mais être prêt à essayer de voir plus loin, à expérimenter en oubliant votre anxiété pendant un moment et à vous engager.

Gérer les egos.

Si vous voulez que les gens sentent qu’on se préoccupe d’eux, il vous faudra comprendre le rôle de l’ego dans toute discussion. Il n’y a rien de mal à avoir un ego fort tant que vous pouvez le gérer et tant qu’il ne vous fait pas vous enfuir. J’ai vu trop de personnes dans ma carrière, et souvent à des niveaux de responsabilité élevés, oublier la raison fondamentales pour laquelle elles sont à leur poste. Ces personnes oublient que l’entreprise et le client sont au centre de leur univers, pas elles, et fonctionnent souvent dans le vide. Les dirigeants ou les personnes qui réussissent à gérer leur ego comprennent bien ce dont les autres ont réellement besoin. Les autres finissent par devoir gérer les conséquences de décisions inefficaces au lieu de façonner l’avenir.

Garder le contact avec toutes les parties prenantes, y compris vos partenaires sociaux 

En ces temps de turbulences, de nombreuses entreprises font face à des défis économiques importants et doivent s’adapter à une nouvelle réalité. Pour bien vous préoccuper des gens lors d’une négociation tenez compte des points suivants :

  • Créer un environnement dans lequel les deux parties s’engagent à bien traiter les gens
  • Déterminer ce qui est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes
  • Éviter d’injecter des produits non négociables
  • Ne pas se cacher derrière les lois ou les médiateurs
  • Ne pas hésiter à partager des informations
  • Déterminer de quoi vous êtes interdépendants et quel est votre objectif commun

Attention aussi au partage d’informations financières. Lorsqu’une partie entame des négociations, elle surprend souvent l’autre partie avec des données financières qui ne sont pas acceptées par celle-ci. Il vaut mieux échanger les chiffres avant la négociation afin qu’ils soient bien compris. Ainsi, lorsque la négociation commence, chacun connait le point de vue de l’autre et peut commencer à chercher un terrain d’entente pour trouver des solutions sans passer des heures à contester les données.

Bien se préoccuper des gens 

C’est un processus qui va dans les deux sens. Si votre préoccupation est réelle vous trouverez les moyens pour réussir. Si elle ne l’est pas, vous créerez des pertes d’énergie qui plomberont vos projets, les feront capoter ou pire, qui vous feront faire marche arrière, que cela vous plaise ou non.

Se préoccuper des gens est un art, une compétence, une capacité de base que certains semblent avoir oublié de pratiquer alors que cela ne coûte rien, donne rapidement d’excellents résultats, crée de la valeur pour votre entreprise et les membres de votre équipe. Si vous l’avez bien compris, même le ciel ne sera plus une limite pour vous !